mardi 9 février 2016

Foucault - La société punitive, résumé des cours 1 et 2

Foucault - La société punitive
 (Seuil/Gallimard, 2013)
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre, qui rassemble en fait les recherches préparatoires qui donneront naissance à Surveiller et punir, publié en 1975, alors que La société punitive est le troisième cours donné par Michel Foucault au Collège de France en 1973. Cette série créée par Gallimard comporte 13 livres, donc 13 cours, qui s'étalent de 1970 à 1984. J'ai aussi lu le premier cours, Leçons sur la volonté de savoir, et je dois dire que la qualité du texte varie beaucoup d'un cours à l'autre, puisqu'il s'agit de transcriptions d'enregistrements, additionnées de notes prises par les auditeurs, il y a donc parfois des bouts d'enregistrements perdus, des doutes sur certains mots, enfin, le style parlé se traduit parfois très mal en style littéraire. La chance que j'ai eue en commençant par le cours La société punitive, qui m'avait d'abord attiré par le titre, c'est que c'est peut-être un des cours les plus magistraux : il semble avoir été écrit entièrement avant de donner le cours. Le style littéraire est donc de très bonne qualité et très continu. Par contre, à ce que j'ai vu du deuxième cours par exemple, Théories et institutions pénales, celui-ci est beaucoup plus schématique, j'ai donc reporté ma lecture de celui-ci à plus tard.

Foucault veut aborder dans ce cours les tactiques de la sanction non pas comme des révélateurs d'une idéologie, mais comme analyseurs des rapports de pouvoir. Il est important de préciser que pour Foucault, tout est toujours dit par les acteurs eux-mêmes, et qu'il n'y a pas d'idéologie cachée (note 1 de la leçon du 10 janvier 1973). Le thème du cours, énoncé explicitement par Foucault dès les premières pages, est la pénalité comme analyseur de pouvoir. S'il est vrai que le système des tactiques pénales peut être envisagé comme analyseur des rapports de pouvoir, «l'élément qui va être considéré comme central sera l'élément de la lutte politique autour du pouvoir, contre lui. C'est là tout le jeu de conflits, de luttes qu'il y a entre le pouvoir tel qu'il s'exerce dans une société et les individus ou groupes qui cherchent d'une manière ou d'une autre à échapper à ce pouvoir, qui le contestent localement ou globalement, qui contreviennent à ses ordres et à ses règlements.» (p.14)

Pour Foucault, la première chose qui doit être dégagée pour faire l'analyse du système pénal, c'est donc la nature des luttes, qui dans une société, se déroulent autour du pouvoir. Selon lui, c'est la notion de guerre civile qui devra être mise au cœur de toutes ces analyses de la pénalité.

La notion de «guerre civile» doit servir d'état de base à la compréhension de ces tactiques de lutte autour du pouvoir, au lieu de l'idée communément répandue de «lutte de tous contre tous» comme état naturel, amenée par Hobbes, entre autres. Notre sujet concerne ce jeu, dans la société du XIXe siècle, entre une guerre civile permanente et les tactiques opposées du pouvoir. La guerre civile servira de matrice générale pour comprendre cette stratégie particulière de la pénalité qu'est l'enfermement.

De 1825 à 1848 (la période abordée dans la leçon du 10 janvier 1973): «on est dans la guerre sociale, non pas dans la guerre de tous contre tous, mais la guerre des riches contre les pauvres, des propriétaires contre ceux qui ne possèdent rien, des patrons contre les prolétaires.» (p.23)

Pendant cette période on voit aussi se constituer l'idée du Panopticon: l'appareil de surveillance généralisé. On est en train d'en penser l'architecture, la possibilité, le fonctionnement. L'idée naît dans les textes de Julius, qui s'inspire de Napoléon, puis de Bentham, qui reprend une idée de son frère. Nous assistons alors, à l'époque moderne, à un renversement du spectacle en surveillance, contrairement à l'idée de Debord. Ce renversement serait attribuable à la croissance de l'État comme instance de surveillance.

Quatre points baliseront l'analyse: «la guerre constante, universelle, à l'intérieur de la société; un système pénal qui n'est ni universel ni univoque, mais est fait par les uns pour les autres; la structure de la surveillance universelle; et le système de l'enfermement.» (p.26)

Alors que Hobbes, faisant de la guerre civile une résurgence de la guerre de tous contre tous, voyait celle-ci comme l'état auquel revenait la société après la dissolution du souverain, Foucault voit plutôt la guerre civile comme un processus à travers et par lequel se constitue un certain nombre de collectivités nouvelles, qui n'avaient pas vu le jour jusque-là, par exemple, la paysannerie, les sans-culottes, etc. Il ne faut donc pas du tout voir, souligne Foucault, la guerre civile comme quelque chose qui dissoudrait l'élément collectif de la vie des individus. Le processus mène plutôt à l'apparition de nouveaux personnages collectifs. C'est donc un processus créateur et qui n'est pas non plus dans un rapport d'exclusion avec le pouvoir. «La guerre civile se déroule sur le théâtre du pouvoir». (p.30)

Les acteurs de cette «guerre civile» réactiveront et inverseront certains fragments du pouvoir, s'en empareront et les feront jouer, et dans certains cas, on aura même l'effectuation d'un certain mythe du pouvoir, par exemple: «[les Nu-Pieds, mouvement sans commandement unique, spontané, même s'il s'est communiqué de village en village, s'était inventé un chef, une organisation purement mythique, mais qui, en tant que mythe, ont fonctionné à l'intérieur du mouvement populaire...]». (p.32)

Autre exemple: le Général Ludd (en référence à Ned Ludd, qui aurait brisé une machine), le chef mythique des luddites, un mouvement de briseurs de machines (principalement des métiers à tisser).

La seule antithèse entre le pouvoir et la guerre civile, c'est le niveau du pouvoir établi qui rejette hors de lui toute guerre civile. La guerre civile est en quelque sorte une menace, mais est encore davantage ce qui hante le pouvoir: «[...la guerre civile habite, traverse, anime, investit de toutes parts le pouvoir.]» (p.32)

On a les signes de cela, nous dit Foucault, sous la forme de la surveillance, des instruments de coercition. L'exercice du pouvoir doit donc pouvoir être considéré comme une guerre civile. Par conséquent, la politique est la continuation de la guerre civile, et il faut récuser l'image de Hobbes pour qui l'apparition du souverain faisait disparaître la guerre de l'espace de celui-ci. (p.33)

À partir du 18e siècle, la notion de «crime» subit une transformation: de «faute», il devient «ce qui nuit à la société». L'individu qui rompt le pacte social en commettant un crime va donc, en quelque sorte, entrer en guerre contre la société. Le criminel devient l'«ennemi social», et la société devra prendre des mesures de «contre-guerre» contre lui. La peine ne sera plus alors mesurée à l'importance du dommage causé, mais à ce qui est utile pour la société. (p.34)

La pratique judiciaire de l'action publique (le crime est poursuivi indépendamment de la plainte) va aussi faire du criminel l'ennemi du souverain. Une série d'institutions vont au 18e siècle instituer le personnage du criminel comme ennemi social. La classe qui est au pouvoir va transférer à la société sous la forme du jury, la fonction de rejeter le criminel. Le jugement du jury ce n'est plus être jugé par des pairs, mais être jugé par des représentants de la société. (p.36-7)

C'est aussi à cette époque que va se constituer une psychopathologie du criminel, cet individu «en rupture avec la société», irréductible aux lois et aux normes générales. Incapable d'adaptation sociale, dans un rapport d'agressivité constant envers la société, étranger à ses normes et à ses valeurs, le criminel va devenir le sujet d'une «psychopathologie de la déviance».

La leçon du 10 janvier 1973 se termine sur cette question: «comment se fait-il qu'une société puisse arriver à un degré de crime, de décomposition tel, qu'elle produise en grande quantité des gens qui sont ses ennemis?»

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Cet article n'est qu'un résumé des cours 1 et 2. Ce livre de Foucault est trop intéressant et il y a tellement de matière que je devrai faire plusieurs articles pour arriver à résumer les autres cours. Je vais travailler entretemps sur d'autres livres, et je reviendrai périodiquement sur les prochains cours de «La société punitive»; il suffira alors, pour repérer les autres articles se rapportant au même sujet, de cliquer sur le libellé «Michel Foucault - La société punitive» au bas du texte.