jeudi 28 mai 2015

Heller - Histoire de la Russie et de son empire

Heller - Histoire de la Russie
et de son empire
(Flammarion, 1997)
Ce livre d'histoire est monumental: 950 pages écrites en petits caractères. Disons, approximativement, que chaque page en vaut deux. Néanmoins, pour qui veut connaître l'histoire de la Russie depuis les origines, c'est un incontournable.

Je me suis donc attelé à la lecture de ce livre, et puisqu'il est souvent fait mention de villes dont je n'ai aucune idée de la géographie, je me suis procuré une carte du monde détaillée indispensable, si on ne veut pas être perdu au bout de deux pages. Je n'ai pas réussi à trouver de carte satisfaisante de la Russie seule en français ou en anglais, mais la carte déroulable dont je dispose a été suffisante, puisque la plupart des villes importantes dont parle le livre existent encore aujourd'hui. Pour les autres, des cartes des régions de l'antiquité trouvables en ligne font l'affaire.

Évidemment, je ne terminerai pas encore d'ici plusieurs mois ce livre, puisqu'il est très long, très détaillé, et parce que j'en lis d'autres en parallèle sur l'histoire de la Russie, entre autres. Cependant, je vais tenter de résumer les cent premières pages, ce qui nous mène, de façon surprenante, des origines jusqu'aux environs du XVe siècle.

Les sources sur l'histoire des origines de la Russie étant rares, Heller doit puiser, comme les autres historiens, aux sources disponibles, dont celle du moine Nestor, qui remonte au XIIe siècle: Chronique du temps jadis.

Les tribus slaves des Antes, des Vénèdes et des Sclavènes subissent des pressions de la part de nomades et sont contraintes de se déplacer. Les liens se rompent alors entre Slaves de l'Est, de l'Ouest et du Sud. De la fin du VIe siècle au début IXe siècle, les Slaves continuent de s'établir sur le territoire compris entre le bassin du lac Ilmen et la côte nord-ouest de la mer Noire. La Chronique fait alors état de 15 tribus, dont les frontières territoriales sont marquées par les différents fleuves. La capitale de la tribu des Polianes est Kiev, et au bord du lac Ilmen vit la tribu qui construira Novgorod.

Dans un passage de la Chronique dont l'authenticité est mise en doute, il est dit qu'en l'an 862, les Slaves, après s'être libérés des Varègues (Vikings) qui exigeaient d'eux un tribut, se prirent de querelle et des guerres intestines éclatèrent. Les habitants de Novgorod auraient alors supplié un prince étranger de leur venir en aide, avec comme message: «Notre pays est vaste et riche, mais le désordre y règne... Venez et gouvernez-nous.» Des émissaires ont été envoyés en Scandinavie, évidemment chez les Varègues, puisqu'on était, je suppose, habitués à eux. Trois frères répondirent à l'invite, dont Rurik, une figure mythique; ceux-ci vinrent donc avec leurs droujinas (troupes).

L’aîné Rurik devint prince de Novgorod, et en tout, la dynastie des Rurik allait régner des centaines d'années à Kiev et à Moscou pour ne s'éteindre qu'au XVIe siècle. Kiev devint la première capitale de ce qui s’appellera la Rus' de Kiev, le mot Rus venant d'un autre nom donné aux Varègues, mais cela demeure controversé.

En 882, après la mort du prince de Novgorod, Rurik, Oleg, son successeur, part en campagne et s'empare de Smolensk et de Kiev. Après trente-trois ans de règne, Oleg décède et la principauté de Kiev passe aux mains du fils de Rurik, Igor. Celui-ci travaille alors à agrandir les limites de son État. Vint alors une série de guerres contre des tribus avoisinantes dans le but, entre autres, de leur faire payer un tribut. Après le règne d'Igor vint celui d'Olga, sa veuve, qui prit les commandes de Kiev pendant treize ans, jusqu'à Sviatoslav son fils, et son successeur.

En 970, le prince partage ses possessions entre ses fils: Iaropolk reçoit Kiev, Oleg, les terres drevlianes et Vladimir, le plus jeune, reçoit Novgorod.

Je dois avouer que le résumé que je viens de faire est assez schématique, mais la complexité des informations données est telle que je suis obligé de procéder ainsi si je veux couvrir l'ensemble de l'étendue que je me suis promis. Une des choses dont je ne parle pas, c'est des relations avec Byzance et Constantinople, ainsi que de l'aspect religieux, le conflit entre catholicisme et orthodoxie.

Une des conséquences du règne de Sviatoslav, un homme «ayant beaucoup guerroyé», et dont les actes irréfléchis conduisirent à détruire la barrière défensive qui protégeait la trouée ouralo-caspienne, le passage de l'Asie vers l'Europe, est que les frontières de Kiev se trouvèrent alors ouvertes aux incursions des Pétchénègues et des Polovtsiens, et que la Rus s'épuisa à combattre.

Alors que Vladimir commence à régner à dix ans sur Novgorod, son frère Iaropolk entreprend une campagne contre son cadet, Oleg. C'est le début des luttes fratricides de l'histoire russe, et qui se poursuivront des siècles durant.

Les princes, frères entre eux, se font chasser de leur trône ou tuer par d'autres frères, et reviennent parfois prendre leur trône après un temps d'errance et de reconstitution des forces et des alliances. Vladimir laisse douze fils derrière lui et se pose alors la difficile question de l'héritage. Une des particularités du régime de succession dans la Russie kiévienne est le principe de rotation: les princes reçoivent des domaines pour un temps, et si l'aîné vient à mourir, c'est le cadet qui prend sa place. Ce principe de succession semble plus équitable que celui qui consiste à tout donner au plus vieux (le droit d’aînesse), cependant, dans la pratique, il conduit à d'incessantes guerres fratricides.

Pourquoi? Je cite Heller: «Plus le nombre des fils héritiers est grand, plus le partage et la rotation deviennent complexes.» (p.52) Un exemple: la plupart du temps l'oncle est plus âgé que le neveu, mais il arrive que le neveu soit plus âgé que l'oncle. À qui donne-t-on telles terres? Suivrons-nous le principe de l'aînesse généalogique ou celui de l'aînesse physique? Autant de problèmes qui feront par exemple que Kiev changera 47 fois de prince en 115 ans. En outre, «le système politique est compliqué par le fait que certaines villes participant de la rotation rejettent le prince qui leur échoit et s'en choisissent un autre.» (p.53)

Les viétchés, ces assemblées municipales qui décident de leur prince, sont constitués, entre autres, de marchands d'esclaves, car Kiev vit là-dessus. Or, ces marchands ayant besoin d'esclaves et étant une force principale des viétchés, ils ont donc aussi un intérêt aux guerres incessantes qui leur procurent toujours de nouveaux esclaves. Aussi, les droujinas des princes sont payées en liquidités et non en terres, comme ce fut le cas plus tard, les princes ont donc besoin de faire des guerres pour payer leurs troupes en volant l'ennemi. Si les troupes ne peuvent être payées en terres, c'est à cause du régime de succession par rotation qui entraîne la mobilité du prince: si le prince change, les terres sont perdues.

Avec toutes ces conditions néfastes remplies, les campagnes militaires vont donc bon train. De 1238 à 1328, les princes règnent en moyenne 6 ans. La similitude des comportements, pillages, massacres, etc., fait que, nous dit Heller, les princes, au bout du compte, se dépersonnalisent.

Je me suis amusé à ramener sous un dénominateur commun ces guerres qui sont: pillages, viols, massacres, destructions des villages par le feu. Le dénominateur commun est le vol: vol de biens, vol de dignités, vol de vies. La règle de toute guerre est donc le vol.

En 1223, pendant que les Russes sont occupés à se battre entre eux, les Mongols envoyés par Gengis Khan, ceux qu'ils appellent les «Tartares» (Tatars), par référence à l'Enfer dont ils semblent tout droit sortis, arrivent.

Les Mongols (ou les Tatars, puisqu'ils étaient majoritaires) gagnent toutes leurs guerres contre les princes russes coalisés. Ces chevaliers des steppes qui n'occupent pas les lieux qu'ils conquièrent, mais se contentent de faire payer un tribut aux populations soumises, domineront la Russie pendant environ 250 ans.

L'effet bénéfique principal de cette invasion aura été d'unifier le pays, qui au début du XIIIe siècle, était morcelé en une multitude de principautés rivales. En 1480, Ivan III refusera de payer le tribut demandé par les Mongols, mais ceci n'est qu'une conséquence de la désorganisation progressive de la Horde d'or, et parallèlement, de l'organisation progressive des forces russes.

Ainsi, il semble y avoir un retour de balancier dans l'histoire: la rivalité entre les princes russes, la désunion, conduit à la défaite face à un ennemi fort et uni, la Horde d'or (Mongols et Tatars); les vaincus finissent par s'unir de force contre les vainqueurs, et la Horde d'or se désorganise à son tour au fil du temps par des rivalités internes, entre autres, conduisant à sa perte face à un peuple conquis cette fois uni. Plus abstraitement, en guise de fantaisie logique, la désunion conduit à la perte face à l'union, et force l'union (au lieu d'être une union volontaire) contre l'union rivale. L'union rivale, ivre de son pouvoir et de ses conquêtes, devient propice à des rivalités internes au fil du temps (puisque les vainqueurs veulent toujours plus de pouvoir). La désorganisation progressive fait alors son apparition, jusqu'à la désunion et la perte face à des peuples maintenant unis contre eux, en position de force renouvelée.